A R T I C L E S










PIANO NEWS Novembre/Decembre 2009


DES CLAVIERS DE PREMIERE CLASSE

La pianofortiste Linda Nicholson et sa collection d'instruments

par Andrea Braun


Vu de l'extérieur, cela ressemble à une maison normale. Un bâtiment londonien en briques, comme une rangée d'autres, donnant sur un parc, mais pas des plus petits. Cependant, dès nous pénétrons à l'intérieur de la maison, nous nous trouvons clairement dans un univers dédié aux instruments à clavier: Linda Nicholson, la célèbre pianofortiste, et Alan Rubin, antiquaire depuis trois générations, ont depuis presque trente ans rassemblé ici une remarquable collection d'instruments, essentiellement à clavier. Et cette collection de clavicordes, clavecins, épinettes, virginals, pianofortes, pianos carrés, orgues et autres a été constituée au cours de ces trois décennies, avec énormément de connaissance, beaucoup de passion et même d'idéalisme. Cette collection a un caractère tout à fait unique.

Cependant, ce ne sont pas uniquement les instruments qui frappent le visiteur, mais plutôt l'ambiance dans laquelle ils sont présentés: chaque instrument est présenté dans son cadre historique et stylistique propre. Et cela nous donne une idée de la passion avec laquelle Nicholson et Rubin ont développé leur collection. Les clavecins italiens par exemple se situent dans une pièce décorée à l'italienne, dans le style de l'époque. Les pianos viennois sont entourés de silhouettes viennoises contemporaines, et le clavicorde du 18ème siècle, probablement construit pour l'ambassadeur suédois en Chine est présenté dans une pièce décorée dans le style chinois. Et ce n'est pas un hasard que le chien de la famille, Sammy, est un épagneul qui apparait souvent dans les peintures des siècles passés et même parfois sur le couvercle d'un clavicorde....

Déjà enfant, Linda Nicholson a toujours souhaité faire de la musique et jouer du piano. "J'étais relativement âgée lorsque j'ai commencé le piano, j'avais en fait huit ans ", se rappelle t'elle. "Nous vivions à Genève, où j'apprenais la flûte à bec. J'aurais souhaité apprendre le piano, mais à cette époque nous ne pouvions nous le permettre. Cependant, lorsque nous avons déménagé à Londres, nous avons loué un appartement dans lequel un piano était déjà installé, et c'est ainsi que j'ai pu commencer à en jouer. Ensuite, quand il fallut encore déménager, j'ai insisté pour que mes parents se procurent un instrument afin que je puisse continuer mes leçons." Il ne fallait pas la forcer à jouer, que du contraire, ses parents essayaient plutôt de l'éloigner du piano, nous dit-elle en souriant car ils ne pensaient pas qu'elle puisse un jour gagner sa vie de cette façon.

C'est plutôt au hasard qu'elle doit d'avoir commencé le clavecin et le piano-forte à l'âge de vingt ans. "Cette époque correspond au début du regain d'intérêt pour la musique ancienne: il y avait quelque chose d'excitant dans l'air”, se rappelle t'elle. "J'étais au Royal College of Music et j'étais particulièrement déçue par mon professeur de piano. Lorsque j'étais en dernière année, après une de mes leçons de piano, je me suis confiée à un ami à qui j'ai fait part de mon insatisfaction, et je lui ai dit que je ne pouvais plus continuer ainsi, et que ce que je souhaitais vraiment, c'était d'apprendre le clavecin. Ce à quoi il me répondit: " très bien, fais-le, passe au clavecin!'"

C'est ce qui fit la jeune pianiste, et elle trouva en Ruth Dyson un professeur qui la mit en contact avec l'instrument et sa littérature. "En plus de cela, elle rencontra celui qui plus tard devait devenir son mari, Alan Rubin. Il avait déjà commencé une collection d'instruments, juste une paire, mais c'était déjà un début", nous dit-elle.

Une chose en entrainant une autre, Linda développa un grand intérêt pour les instruments historiques, en particulier pour le pianoforte et son répertoire. "Ce qui nous a motivé pour notre collection est en fait la combinaison de la passion d'Alan en tant que collectionneur et antiquaire et mes choix musicaux en tant que pianiste. J'ai réalisé progressivement que j'apprenais de par ma pratique de ces instruments un nombre incalculable de choses sur cette musique et que j'avais là un privilège que n'ont hélas bien peu de pianistes!"

Une chance qu'elle a bien su exploiter quand en 1978 elle emporta le premier prix du Concours International du Pianoforte de Paris, le premier du genre à se tenir. Et en 1983 le second prix (le premier ne fut pas décerné) au prestigieux concours "Musica Antiqua" de Bruges, ou elle emporta également le prix du public. Depuis lors elle est apparue dans de nombreux concerts. Elle a également réalisé de nombreux enregistrements; avec son ensemble, The London Fortepiano Trio; en solo, des sonates de Scarlatti au piano-forte, mais aussi des sonates de Mozart et les bagatelles de Beethoven ; elle se consacre actuellement entre autre à enregistrer en duo avec le violoniste baroque Hiro Kurosaki l'intégrale des sonates pour violon et piano de Beethoven. Et, cela va sans dire, toujours sur instruments originaux, le plus souvent les siens, qui bien plus que des pièces de musée à contempler sont redevenus des instruments vivants qui l'accompagnent désormais dans toute l'Europe.

Linda Nicholson n'a pas fait de sa maison londonienne un musée, mais bien un lieu où le contact peut s'établir avec ces témoins musicaux d'un passé lointains. "Ce qui me fascine réellement dans ces instruments historiques, c'est leur variété. Nous avons des instruments de 1572 à 1831 dans notre collection. Et il y a tous les types d'instruments, et dans chaque type d'instrument, nous sommes face à une énorme variété de sons et de couleurs. Nous avons par exemple six piano-fortes viennois datés de 1797 à 1831, et nous pouvons clairement constater l'évolution de leur facture. Ce qui ne signifie pas qu'il faille nécessairement jouer une sonate de Beethoven datée de 1797 sur un instrument conçu en 1797–ce n'est pas la question. Ce qui est plus important, c'est que l'on peut jouer chaque instrument d'une façon différente. Lorsque l'enfoncement de la touche est peu profond et le toucher léger, il est possible de jouer les passages rapides avec vélocité, même si le son ne se maintient parfois pas très longtemps. Cela peut influencer le tempo d'une pièce. Quant à la balance, j'ai deux pianos datés de 1797, l'un de Anton Walter, qui était le facteur favori de Mozart et de Beethoven, et l'autre de Johann Schantz, qui avait les faveurs de Haydn. Ces deux instruments parfaitement contemporains, ont des caractères totalement différents. Alors que la sonorité du Walter est chaude et chantante– et je pense que ce n'était pas une coïncidence si Mozart l'appréciait autant– le Schantz est plus brillant et puissant, convenant mieux aux courtes respirations et au style plus 'incisif' de Haydn. Et même si nous jouons deux instruments de Walter de la même époque, il peut y avoir une grande différence de balance entre les basses et les aiguës. Si nous jouons une même pièce sur deux piano différents, il nous faut nous adapter, car il se peut qu'un des instruments n'ait pas la dynamique de l'autre– de telle manière qu'il faille jouer l'un plus calmement que l'autre. Nous devons nous adapter à ce que l'instrument nous suggère".

Nicholson ne pratique plus le piano moderne. "De nombreux musiciens le jouent merveilleusement, mais ce n'est pas ce que je souhaite réellement faire. Je ne pense pas qu'on puisse approcher ce que Bach avait imaginé sur un piano moderne par exemple. D'un autre côté, des grands musiciens tels Glenn Gould ont fait des choses réellement novatrices sur des pianos modernes. Mais cela me fait plutôt penser aux arrangements de Bach par Ferrucio Busoni: de nouvelles compositions, qui peuvent être très belles, mais je ne pense pas que l'on puisse en déduire ce que Bach avait réellement souhaité exprimer dans sa musique. Nous pouvons dire la même chose de Mozart sur un piano moderne. Encore une fois , il y a des excellents musiciens qui font des choses remarquables, mais qui forcent la partition. La dynamique pour laquelle ces œuvres ont été créées –la longueur des phrases, ou des mouvements, ou des pièces même– tout cela est à mettre en rapport avec un instrument qui disposait d'une puissance inférieure de moitié de celle d'un piano moderne. Si on reproduit cette dynamique sur un piano moderne, on ne pourra exploiter toutes les possibilités de l'instrument. Je ne suis pas sûre que dans ce cas il y ait moyen de rendre justice aussi bien à la musique qu'à l'instrument."

Et la chose fut rendue encore plus claire lors de la visite de la maison où sur chaque instrument restauré elle nous joua une pièce appropriée. Et quelques surprises nous attendaient particulièrement dans les tempi et phrasés de pièces très connues!

(Version abrégée de l'article)